présenté par Charles Parmentier et Zoé Neunreiter
La collection
Chirurgienne du vêtement et couturière des corps
Pour cette collection Armors, l’artiste Jeanne Vicérial nous présente l’apogée de son travail expérimental. Chirurgienne du vêtement et couturière des corps, elle est considérée comme la créatrice en vogue capable de réintégrer le corps humain dans la mode.
C’est une véritable ode à la féminité, un message dédié à la lutte contre le patriarcat qui oppresse ces femmes, un deuil de notre égalité. Les tenues se transforment en guerrières silencieuses aux cris sans voix, aux corps en lambeaux et aux vagins détruits. Les visages sont enfermés ainsi que leur identité ; elles ne sont plus que des ombres errantes. Désormais prêtes à combattre, revanchardes, vêtues de leurs armures en fils, elles se sentent enfin puissantes. A la fois fragiles et infaillibles, Jeanne Vicérial leur a donné une enveloppe à la hauteur de leur histoire.
Les armures charnelles
"Pour moi, c’est à la fois quelque chose de l’ordre du dévoilement, de l’ordre du sentimental. Tout le monde connaît des histoires d’amour, des choses qui font extrêmement mal. Ces sculptures ne sont faites qu’avec des fils. Si on les touche, elles sont extrêmement fragiles. Quand on les regarde, on ne sait jamais si on est à l’intérieur d’elles ou à l’extérieur. C’est comme si on regardait à l’intérieur, la sensation d’être face à des sortes de radiographies portatives."
Source : site internet SAY WHO, Interview de Jeanne Vicérial
Il nait de cette collection une intimité bouleversante. Les madones aux allures de combattantes s'allient aux sculptures noires, telles des figures adeptes du rite de passage entre la vie et la mort. Le fil conducteur est sans doute l'évocation du sublime, au sens romantique du terme, lorsque la beauté nous semble inquiétante. A mi-chemin entre l'armure et la peau, la chair "tissée" qu'elle façonne protège les entrailles mais dévoile également la fragilité de l'être.
Anatomies techniques
"Pour moi la peau est l'étoffe du XXIe siècle"
Tricotissage
Afin d'industrialiser sa démarche créative, Jeanne Vicérial est parvenue à collaborer avec des ingénieurs de l'école des Mines pour mettre au point une machine dont elle a depuis déposé le brevet. A l'aide d'une commande transférée via un ordinateur, elle dicte un entrelacs de fils spécifiques (matière) qui lui créera une étoffe tissée à partir d'un seul et même fil.
Cette machine à mi-chemin entre l'automatisation de l'artisanat et l'intervention humaine est un "outil de tricotissage" qui permet de travailler à la fois le tricot, la maille et la dentelle sur le mannequin (modifications manuelles) à partir de l'étoffe tissée par ordinateur. Il y a derrière cette invention une idée que la technologie peut s'allier avec l'artisanat; ce qui était produit en sept heures est désormais produit en sept minutes, d'autant que sa créatrice peut arrêter la machine à tout moment et reprendre le travail à la main.
Cette technique ne produit aucunes chutes de tissus ce qui lui donne un avantage écologique.
Les fils musculaires
"Ces sculptures ne sont faites qu’avec des fils. Si on les touche, elles sont extrêmement fragiles. Quand on les regarde, on ne sait jamais si on est à l’intérieur d’elles ou à l’extérieur. C’est comme si on regardait à l’intérieur, la sensation d’être face à des sortes de radiographies portatives."
Source : site internet SAY WHO, Interview de Jeanne Vicérial
Ce sont des silhouettes cristallisées dans le fil noir, un véritable cabinet de curiosités décomposant l’anatomie des corps féminins à travers des organes vestimentaires.
De ces figures mystiques, l’artiste dresse peu à peu ses fils saturés comme des cicatrices tissés à même la chair, recouvrant d'une couche protectrice les ombres à qui elle donne vie. L'armure charnelle dont ces femmes disposent enfin les amènent désormais vers un futur incertain, certes semés de désillusion; mais aussi fait de consécration.
Univers chimérique
Gisantes tissées
"Ombre macabre" par Zoé Neunreiter
Pour représenter l'opacité noire et la densité de la filature, nous utilisons des aplats bruts et uniformes. Par dessus se dessine des cordages ligneux et entremêlés pour marquer la passementerie inspirée du vêtement. Le fond contraste grâce à la fluidité des voilages, symbole de douceur et de sensualité; offre du dynamisme à cette tenue d'apparence rigide.
"Gisante virevoltante" par Charles Parmentier
Le style de dessin rappelle avant tout les dessins de créateurs aux allures rough. Le mouvement circulaire, virevoltant de la cape reprend la protection de l'armure. Les fils s'entrelacent autour du corps et rappellent les tissus musculaires du porteur. La monochromie de l'illustration rappelle l'esthétique simple et sobre de la créatrice.
Multiples inspirations
"Ce sont des guerrières, mais elles ne se battent pas contre quelque chose. Elles ont juste relevé la tête, elles sont armées pour être mieux préparées pour avancer vers le futur. Elles sont bienveillantes mais elles protègent quelque chose, peut-être leur histoire de la féminité. Pour moi, ce sont juste des personnes endormies, et les pièces verticales, elles, sont déjà réveillées."
Source : site internet SAY WHO, Interview de Jeanne Vicérial
La collection semble être imprégnée d'une sorte d'écho du passé. Elle capture l'esprit et l'essence des figures historiques figées dans la pierre. Les textures évocatrices rappellent les drapés des gisants, tandis que les formes organiques suggérant le corps se mélangent à une présence immatérielle, presque spectrale. À travers cette collection, Jeanne Vicérial explore les frontières entre le tangible et l'intangible, l'ancien et le moderne, créant des pièces qui défient le temps et invitent à une réflexion profonde sur la mémoire et la sensualité humaine.